Yann Perrier

Textes

Préambule de Corps natal du souvenir (variations)

Résine comme du verre et bois travaillé,
brûlé, il y avait déjà les quatre éléments dans les
boules, grosses ou petites, plus ou moins
colorées, nées de ces mains d'homme frêle et
têtu.

Réponses immobiles, rêveuses et rondes
à la sphère terrestre, elles reflètent aussi notre
regard, lancées dans la matière intense de nos
yeux.

Il y scintillait le vent rapide des voix,
l'écriture du feu, toutes les respirations et les
frôlements. Il s'y formait sans cesse des histoires,
avec un cœur brûlant et des chevelures d'eaux,
des étoilements transparents.

Avec le bois noir, quasi pétrifié, des très
anciennes habitations lacustres de Neuchâtel, il
s'invite encore autre chose dans tout ce
murmure de couleurs, cet entrelacs de vie
violente. Un peu de l'errance humaine dans le
tournoiement.

Comme un rêve devenu vrai dans le long
sommeil du bois ...

Françoise Delorme - avril 2012

Une éclaircie

Chaque sphère inventée par Yann est un monde. Avec sa géographie et son climat, son mystère et sa petite musique, sa révélation. On interprète, on se prend au jeu, on y croit,
on voit intuitivement, on devine. Yann nous rend magiciens ! Son enseignement : un petit précis de chamanisme élémentaire. Pas de théorie ni d'abstraction, de bla-bla ni de distance : du bois, de l'air, des couleurs, le feu, la proximité salvatrice du rêve. La simplicité du vivant. Une sorte d'abri miraculeux pour chercher, dans l'or de nos propres regards, une éclaircie.

Entre présence et absence, temps et éternité, lumière et obscurité, Bergson et Heidegger (et même...Tolkien, Hergé et George Lucas !), les apaisantes confidences chuchotées par Yann invitent à visiter ce pays perdu que chacun d'entre nous désire retrouver : celui d'un ailleurs pressenti comme aussi vrai que l'ici.

Pour un peu, on en oublierait l'art du sculpteur : chaque sphère est naturelle. Le minéral, le végétal, la flamme et la fumée, une transparence de glace et ses énigmes, le vide se suffisent à eux-mêmes. Ni fanfaronnade ni leçon d'esthétique pour nous dire quoi voir. Avec Yann, rien n'est artificiellement novateur et c'est pourquoi tout est nouveau. Et beau. Comme l'aveu d'Emily Dickinson : Il m'a semblé que l'herbe était heureuse.

Chaque sculpture nous murmure alors le début d'une histoire. Et le plus étonnant, c'est que nous nous surprenons à raconter la suite. Ce qui n'a pas de prix.

Philippe Aubert de Molay, scénariste - Noël 2010

Dialogue sur le monde

Vanité, bois dégradé

Mon propos artistique est d'interroger des fragments dégradés de la nature et d'induire le changement de regard qu'on porte sur ce matériau sans valeur marchande. Il en va de même du regard qu'on a sur nos contemporains et plus généralement de notre rapport au monde.

Les fictions que j'inventent se situent dans la marge entre matière et lumière. J'en restitue des sculptures-objets (le pourri dans un écrin) et des estampes sérigraphiques (le rapport du texte à l'image) dont le propos n'est pas seulement esthétique.

La morsure du feu, la violence de la tempête, l'appétit du Bostryche autant d'attaques que subit le bois, il en garde la mémoire dans sa chair, dans ses veines.
Je suis un artiste-RÉCOLTANT et le fruit de mes glanages est fait de ces déchets de la nature où parfois l'homme a une responsabilité, hélas !
La forme archétypale de la boule n'est pas neutre !

Je préfère de mon travail parler de révélation (artistique) plus que de dénonciation (politique). L'utilisation du verre acrylique est là pour transmuter la pourriture par sa qualité de réverbération de la lumière et son indice de réfraction identique à celui du cristal !

Mon engagement n'est pas en duel entre mes convictions, ma vision du monde et ma responsabilité partagée dans l'état de la Terre et celui de la terre, du sol. Cette préoccupation deviendra majeure pour la génération de mes enfants. Mon eau chaude est chauffée par le soleil depuis 1981 et je me suis soucié de haute qualité environnementale dans la construction de ma demeure comme je suis engagé sur les préoccupations liées au réchauffement climatique : je prends pour exemple la conférence de M. Duverney lors du vernissage de l'exposition à la maison du Parc Naturel du Haut-Jura.

YaNn Perrier - mars 2008

YaNn Perrier, géographe.

On se souvient que les lointains rois séleucides de l'Anatolie aimaient à coiffer leurs mausolées d'importantes sphères décorées évoquant peut-être à la fois la perfection de la vie humaine et sa finitude. Bien plus tard, en 1750, de Vaugondy (1723-1786), jeune géographe du roi, reçut de Louis XV une double commande originale : celle d'un grand globe manuscrit de 6 pieds (218 cm) qui devait témoigner de l'aplatissement de la terre récemment prouvé par les expéditions de Maupertuis et de La Condamine, ainsi que celle d'un globe de 18 pouces, moins volumineux, à l'usage de la Marine. Le premier ne fut jamais réalisé, faute de financement ; le second connut une brillante carrière. Approuvé par l'Académie des sciences en 1751, il représentait habilement le monde des hommes. Encore plus tard, pour l'Exposition universelle de 1900, Élisée Reclus proposa un monument étonnant : un immense globe terrestre, réplique parfaite de la vraie Terre. « Le globe, parce qu'il est la seule représentation dotée d'un caractère de vérité totale, aurait remplacé les cartes géographiques. » Pour des raisons financières et idéologiques, cette œuvre ne fut pas créée.

Aujourd'hui (et depuis des années), le sculpteur Yann Perrier s'intéresse, comme il le dit lui-même, à « la forme archétypale de la boule », à cette « sphère non mathématique » qui hante l'humanité, ses princes et ses artistes depuis la nuit des temps. Et dont l'utilité native est de nous faire explorer les territoires physiques et métaphysiques. Tout un mystère mêlant intimement géométrie et géographie, car l'une éclaire l'autre et réciproquement.

De ce travail de Yann Perrier sur la sphère, on pourrait dresser une sorte de liste des vertus : à l'évidence, il est ici question de se plonger dans les merveilles et les singularités du reflet, de la transparence, du miroir. Là où la surface et le fond inventent une nouvelle manière de voir le monde. C'est plus fort que nous : on touche les sculptures, on se penche pour regarder à l'intérieur, pour suivre des chemins de lumière toujours nouveaux. On ne découvre pas un monde cartographié, à l'image de celui plaisant à Louis XV, interprété et rendu intelligible par celui qui l'observe mais un univers juste visibilisé par le sculpteur et qui, comme toute véritable œuvre d'art, s'ouvre à de multiples interprétations...pour nous échapper au final.

Yann est un globe-conteur qui bâtit une séduisante (et le mot va sans doute lui faire plaisir) utopie géographique. Chacune de ses sphères, puits coloré et miroitant, est une sorte d'instrument d'optique à l'usage des rêveurs. Ce qui n'est pas peu dire. Matérialiser ce qui réside par nature dans l'imprécis de l'imaginaire est un exploit ! Chaque sculpture s'annonce alors comme un espace clôturé par notre propre entendement mais faisant bien vite et sans que cela soit expliqué ni explicable, artistiquement autrement dit, référence à un lieu inconnu et intime, à quelque chose de l'origine, voir à une fondation, beau mot convenant si bien à l'œuvre de Yann.
Ce qui est bien également avec ce dernier, c'est qu'il met une intention esthétique dans son travail, là où tant d'artistes refusent avec aveuglement et passéisme cette voie royale vers le partage avec les autres.

Bulle de savon pour les uns, boule de cristal pour les autres, la « sphère non mathématique » de Yann Perrier nous fait étymologiquement toucher du doigt ce demi-jour qui nous habite, établissant quasi géographiquement cette distance au monde que nous n'avons cessé de représenter depuis que l'art existe.

Avec ce travail poétique, la vie est vraiment très simple : chaque sphère proposée par le sculpteur établit avec éclat le pouvoir infini de l'instant présent, de la lumière du moment.
Et suggère que nous pouvons y faire avec humilité ces grandes et belles choses qui résonneront dans l'éternité. Pour le coup, il n'y a rien d'utopique là dedans.
Juste la beauté du monde et notre respiration.

Philippe Aubert de Molay, scénariste - juin 2006, jour de la Sainte Trinité

Dialogue sur le geste politique

Barrière à congère, barrière à congénère
Barrière à congère, barrière à congénère !  Ouvrage à vent, Grande-Rivière, 2000

... je ne vois rien de "politique" dans ton oeuvre si ce n'est peut-être au sens latin du terme, c'est à dire s'il s'agit non pas de chercher à changer le monde (il s'en charge tout seul comme disait Churchill) mais plus concrètement ... de partager des valeurs réputées bonnes pour tous. Plutôt que de politique, je fréquente ton travail comme on visite un sanctuaire poétique, à la fois ancien et contempo- rain, un lieu où s'expriment les vieilles choses chamaniques du monde et ou, enfin, il est pensable d'en saisir la pro- fonde capacité de renaissance pour l'aujourd'hui. Tes bois et tes sphères, produites par l'explorateur que tu es, témoignent de la permanence et des pouvoirs de la na- ture. Compte tenu de l'urgence écologique, tu te retrouves à la mode ! Mais pas superficiellement. Loin du consumérisme, plutôt du côté des évidences : c'est dans le bois, le caillou, l'eau figée de tes sphères que l'on peut saisir la fragile beauté vivante. C'est pourquoi je parlerais plutôt de poétique que de politique, cette dernière n'étant qu'une vision limitée de la première.

Philippe Aubert de Molay - 21 décembre 2007

 

Si je devais parler de ma sculpture, je dirais le bois cassé, ses veines torturées qui rendent compte de la vie de l'arbre ... ce sont tous ces accidents qui produisent sa beauté. La mort de l'arbre nous laisse le bois avec ses traces de mémoire de sa vie, car la mort fait partie de la vie.

Toutes ces cicatrices que le verre vient remplir pour nous signaler la présence de cette absence. Absence physique et absence à la vie.

Le verre change le statut initial en faisant de la sculpture un écrin. N'y voir qu'une implication sociale, donc une implication politique, ce serait peut-être une impasse mais ne pas la voir ce serait ne rien voir du tout !

Moi je suis plutôt espérantiste que déterministe et je crois :
que c'est le regard qu'on porte sur l'objet qui fait l'œuvre
que c'est le regard qu'on porte sur l'Humain qui le détermine !
... et ça c'est POLITIQUE !

YaNn Perrier - 18 décembre 2007